Familles Laïques

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Pourquoi un mouvement familial laïque

A priori, un tel rapprochement entre ces 2 mots « famille et laïcité », représente au mieux une antithèse, non un contre-sens. Il faut donc se plonger dans l’histoire des 2 derniers siècles pour comprendre et expliciter ce rapprochement et développer leur spécificité. En effet, ces 2 mots représentent 2 versants de l’histoire politique française, 2 spécificités à nulle autre pareille en Europe.

Il fallait que ce soit des résistants et des déportés qui créent le CNAFAL, pour que ce rapprochement des deux univers ait lieu. Il fallait aussi que les fondateurs aient bien connu la période de l’entre-deux guerres qui voit « la thématique famille » triompher avec la prise de pouvoir de Pétain. (André Fortané né en 1915, Lucien Bonnet né en 1920, Roland Lebel né en 1912, Maurice Piffard né en 1922).

En fait, le mouvement familial (spécificité française) naît au XIXème siècle en réaction violente à l’établissement de la 3ème République, mais tire aussi sa source du rejet des idéaux de la Révolution française et de l’aversion pour la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Robert Talmy, historien patenté du mouvement familial, l’explique parfaitement :  » en tirant toutes les conséquences de l’individualisme hérité du XVIIème siècle (à savoir l’esprit des Lumières) les hommes de la Révolution opposent à la notion traditionnelle de la famille, société religieuse, autoritaire et hiérarchisée, une conception individualiste et contractuelle, qui trouve sa consécration dans les lois sur le divorce et l’affaiblissement de l’autorité paternelle  » .

La Révolution française est accusée de saper les fondements de la société : « mariage sécularisé, son indissolubilité ruinée par le divorce, l’autorité parentale affaiblie, la liberté testamentaire étroitement contrôlée, « la famille est rayée et pour longtemps, des institutions de l’Etat ». Le mouvement familial déplore jusqu’à la suppression des corporations… l’immigration est dénoncée en ce « qu’elle cache le déclin de la race française ». Et nous sommes à la fin du XIXème siècle !

Le mouvement familial réclame, dès cette époque, l’abrogation de la loi sur le divorce mis en ?uvre et en chantier par Alfred Naquet dès 1876 reprenant la loi du 20 septembre 1792 qui transforme le mariage en contrat civil, en même temps qu’elle délivre les enfants majeurs d’obtenir le consentement de leurs parents pour se marier. Le code Napoléon en 1804, va revenir sur ces mesures et met tellement de conditions au divorce, qu’il le rend pratiquement impossible jusqu’à la loi Naquet.

Il faudra tout de même 6 ans à Alfred Naquet pour obtenir une loi sur le divorce digne de ce nom (Loi du 19 juin 1882) ! Mais pour autant, elle n’est pas promulguée tant que le Sénat ne l’adopte pas. Il faudra 2 ans de plus, soit le 19 juillet 1884.

Il est vrai que, pour les Républicains, la loi du divorce privilégie l’individu, c’est-à-dire la possibilité pour un homme ou pour une femme, déçu, brisé, par l’échec d’un premier mariage, de retrouver le bonheur en se séparant. Les adversaires du divorce considèrent que l’union doit être perpétuelle… puisque sanctifiée par Dieu.

Les acteurs de la Révolution Française, puis les Républicains du XIXème siècle, tirent toutes les conséquences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, conçue comme un appel à l’émancipation des individus hommes ou femmes, qu’ils opposent à la notion traditionnelle de la famille société religieuse, autoritaire et hiérarchisée.

D’autant que les révolutionnaires réduisent la puissance paternelle, conçue dès lors, comme un simple devoir de protection à l’égard des enfants, là où le père avait tous les droits, y compris d’emprisonnement ou de déshériter le fils aîné.

Le père de famille, par décret du 6 janvier 1794, perd la libre disposition de ses biens qu’établit le partage égal entre tous les enfants. Enfin, le décret du 4 juin 1793 met sur un pied d’égalité les enfants naturels et les enfants légitimes.

Dès lors, « 2 camps » vont s’affronter pour longtemps, 2 conceptions de la famille, 2 conceptions de l’enfant, de la femme, de la société, de l’éducation… la liste n’est pas exhaustive.

Les conservateurs contestent l’existence même de droits naturels individuels. Une seule entité naturelle existe : la famille. Unique et véritable cellule sociale, antérieure à l’Etat, elle est l’expression réduite, mais parfaite, de la société.

Après la Première guerre mondiale et profitant de l’Union Sacrée qui s’était spontanément réalisée pour repousser l’envahisseur, les familialistes n’ont pas désarmé. Ils regroupent leurs forces, leurs associations, les personnalités et ministres qui les soutiennent à Lille, les 2 et 3 décembre 1920 et proclament une Déclaration des Droits de la Famille, lue par le Général de Castelnau.

Elle débutait par :

« La famille, fondée sur le mariage, hiérarchiquement constituée sous l’autorité paternelle, a pour fin de transmettre, d’entretenir, de développer, de perpétuer la vie humaine. Elle dispose à cet effet de droits imprescriptibles, antérieurs et supérieurs à toute loi positive ».

Tout est dit dans ce préambule qui est la bible du mouvement familial, jusqu’à nos jours, lorsque, au détour d’un communiqué de presse ou d’une déclaration, on proclame la famille comme cellule de base de la société et qu’on la revendique comme étendard politique, pour en faire une catégorie politique audessus des individus.

Le Sénateur de la Lozère, Théophile Roussel, déclarera le 26 mai 1883, en s’opposant à la première loi de déchéance paternelle : « les droits de la famille ne sont pas des droits qui viennent de la société ou de ses représentants administratifs, ce sont des droits qui viennent de la nature et de Dieu ».

Les Républicains, à juste titre, estiment que la République a un devoir de secours et de protection envers ses enfants. Le souci de l’Etat concerne, en premier lieu, l’enfance maltraitée. La République souhaite instituer des nouveaux rapports entre les parents et les enfants. C’est une nouvelle conception de la famille qui émerge, « rognant » la toute puissance du père et qui fixe des règles à la conduite des parents à l’égard de leurs enfants. Cette loi est considérée comme sacrilège par tous les cléricaux et les conservateurs, la paternité étant considérée comme sacrée. Les conservateurs dénoncent une atteinte à un droit naturel et divin et n’acceptent pas que la justice puisse entrer au sein du « foyer domestique ».

Lorsque les lois d’instruction laïque de 1881 et 1882 sont débattues, les adversaires de la loi considèrent qu’elle va porter atteinte à la liberté d’éducation des pères !

Par une curieuse similitude, lorsque le projet de loi Savary sera débattu, les cléricaux invoqueront lors de leur manifestation, le 24 juin 1984, organisée sous l’impulsion des Evêques, la liberté d’éducation et les atteintes au devoir sacré de la famille.

Comment également, ne pas être saisi à un siècle d’intervalle, par la similitude des invectives et des arguments ?

Dès 1900, des députés socialistes s’emparent de la question de la légitimation des enfants adultérins. En effet, ceux nés avant la loi Naquet sur le divorce, ont pu avoir pour père un homme marié, mais séparé de corps. Lorsque la séparation de corps a été convertie en divorce, ces hommes ont pu épouser la mère de leur enfant adultérin. Or, malgré ce mariage, l’enfant gardait un statut adultérin ! L’ opprobre ne s’efface pas du jour au lendemain.

Aussi, une proposition de loi est-elle déposée par le socialiste Maurice Viollette et le radical socialiste Théodore Steeg, le 7 novembre 1907 en vue de régulariser leur situation. Le Député Edouard De Castelnau va défendre l’institution du mariage sacro-saint et dénoncera la proposition de loi qui « livre sans aucune défense, la famille légitime à l’invasion des enfants nés d’un autre lit, qui viennent se mêler, désormais, aux enfants légitimes, par l’effet d’une vraie polygamie… ».

Un siècle plus tard, le Cardinal Barbarin, (celui-là même qui a « couvert » de son autorité, les prêtres pédophiles, dans une interview donnée le 14 septembre 2012 à une chaîne de télévision, à propos de « la loi sur le mariage pour tous »), invoque la « porte à la légalisation de l’inceste et de la polygamie ». Saisissante pérennité des apostrophes et des insultes…

Tout cela pour dire et réaffirmer que le socle du mouvement familial et de l’idéologie familialiste est clairement contre-révolutionnaire. 1875, c’est l’établissement de la 3ème République qui reprend à son compte les idéaux de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, les revendications des républicains de 1830, de 1848, de la Commune. Le mouvement familial représente, au sens littéral, la réaction contre la République en train de se déployer sur tous les champs, y compris sociétaux, en sus de l’éducation devenue prioritaire et primordiale et, bien sûr, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat devenue couronnement de la fondation républicaine.

On comprend dès lors que Vichy c’est bien la contre-révolution, la revanche contre la 3ème République, si abhorrée (et on a vu des exemples… Vichy ferme les écoles normales, les organisations laïques sont dissoutes, leurs dirigeants pourchassés, l’avortement est puni de mort… Les croix sont réintroduites dans les tribunaux…

L’offensive idéologique est totale dès 1940 : projets de réforme municipale envisageant de réserver des postes aux chefs de famille, adoption du suffrage familial (vieille revendication du mouvement depuis 1920), octroi de voix supplémentaire en fonction du nombre d’enfants, représentation de la famille dans les assemblées publiques ; mais aussi mise en place d’une formation psychologique et morale des jeunes, en vue du mariage par des cercles d’étude, des cours par correspondance, des conférences aux conscrits et dans les grandes écoles… C’est ce que les familialistes appelleront la rechristianisation du mariage…

Comment ne pas être frappé à nouveau par ces similitudes, avec les débats contemporains ouverts en 2012 avec la loi sur le mariage pour tous ? En effet, dès 2010, les AFC lancent une campagne auprès du Ministère de la Famille pour tenter d’imposer « une préparation au mariage civil » et déclenchent une campagne en 2012, contre ce qu’ils appellent « le non mariage ». C’était avant la présidence de François Hollande.

L’ensemble de ces volets sont rassemblés dans un opuscule qui s’intitule « quel avenir pour la famille ? » La jaquette de présentation affirme :

« Le mariage entre un homme et une femme, engagement dans la durée et devant la société, est un trésor non seulement pour la foi, mais aussi pour la société toute entière ».

Eric Zemmour, dans son ouvrage « le suicide français » reprendra les thématiques familialistes en assumant pleinement les poncifs de la société patriarcale :

« La décapitation de Louis XVI avait annoncé la mort de tous les pères : le Général de Gaulle avait proclamé qu’avec la 5ème République, il réglait une question vieille de 159 ans ! En remettant la tête d’un père suprême sur le corps de la nation, il avait rétabli celle de tous les pères « ! Ou encore « le père est éjecté de la société occidentale. Mais avec lui, c’est la famille qui meurt « !

Et l’hebdomadaire Valeurs Actuelles se situe de plus en plus dans cette mouvance séculaire depuis 1875 de la « restauration de valeurs éternelles » pour reprendre un édito du 5 décembre 2013 :

« C’est parce que la notion de famille était remise en question par un gouvernement sectaire, que plus d’un million de personnes ont battu le pavé. »

Les tenants de ce retour à l’ordre moral vont se retrouver et se retrouvent toujours, aujourd’hui derrière le groupe politique dénommé « Sens Commun », qui dès 2016 trouvera des appuis au c?ur même de l’UNAF. Pas de hasard non plus lorsque Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne de 2012, en route pour la Présidence de la République, agite le spectre de mai 68 : « je veux pouvoir critiquer mai 1968, sans être traité, un comble, de pétainiste. »

Il tentait ainsi de réanimer les peurs d’une droite enkystée dans la conservation et la perpétuation d’une société patriarcale.

Qu’est-ce que mai 1968 ? C’est le moment où les certitudes du « vieux monde » s’écroulent, sont remises en question, où les rapports de domination  qu’ils soient de soumission, les rapports exploiteurs, exploités, hommes/femmes, jeunes/vieux, blancs et colorés, enseignants/enseignés, sont remis à plat, rediscutés, parce qu’ils ne sont plus évidents, voire obsolètes.

C’est cela la société du conservatisme. Car mai 1968, c’est aussi la création du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), du FHAR (Front Homosexuel), du FLJ (Front de Libération des jeunes). La majorité est encore à 21 ans…  Mai 68 met à bas le culte du chef… La famille était alors conçue comme le formatage des petits d’hommes et de femmes avec une assignation précise des rôles de chacun, car elle est le modèle réduit de la société hiérarchisée, tant sur le plan politique, qu’économique ou sociétal.

C’est bien pourquoi, l’enjeu est identitaire entre les laïques et les cléricaux. C’est ce combat là que poursuit le CNAFAL, au nom de tous les républicains, tous les laïques qui nous ont précédés !

Au début du XXème siècle, Jean Jaurès affrontait Maurice Barrès, le chantre des nationalistes conservateurs… lequel prépara le terrain idéologique à Charles Maurras… auquel Léon Blum n’a cessé de répondre.

Léon Blum publie en 1907 un ouvrage qui s’intitule « Du mariage » où il préconise pour les femmes les expériences préconjugales au même titre que les hommes et même « le mariage à l’essai » en quelque sorte. Précurseur, le livre fit scandale. Dans sa préface, il précise qu’il l’a longtemps médité et il le dédicace à sa femme en indiquant que dans la conception de cet ouvrage « il n’entre ni déception ni rancune mais au contraire un sentiment de reconnaissance et qu’il fut écrit par un homme heureux ».Président du Conseil en 1936, il fut le premier à nommer une femme à un Secrétariat d’Etat.

Enfin, à propos de la période écoulée 2007-2017, comment ne pas se référer y compris par rapport à la ligne développée au sein même de l’UNAF à Zeev Sternhell, historien israélien et l’un des plus grands experts mondiaux du fascisme et des Anti-lumières, lorsque dans une interview donnée à la revue « Humanisme » n°297, il déclare : »Les Lumières voulaient libérer l’individu des contraintes de l’Histoire, du joug des croyances traditionnelles et non vérifiées » « c’est bien contre la libération de l’individu par la raison que les penseurs des anti-Lumières lancent leur attaque. Les anti-Lumières se dressent bien contre la nouvelle vision de l’histoire, de l’homme, de la société… » « Les Anti-Lumières affirment la préséance de la communauté sur l’individu, que l’homme n’est pas maître de son avenir pas plus que de son passé : nos ancêtres nous tiennent, ils parlent en nous… »

« La guerre aux fondements des Lumières françaises se poursuit de nos jours avec non moins de détermination qu’au cours des deux siècles passés ».

 

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