Le site du Conseil National des Associations Familiales laïques (CNAFAL), association agréée d'aide aux consommateursNous connaitre
Le nouveau ministre de l’Education nationale a décidé d’interdire les abayas et qamis dans l’enceinte scolaire publique. Les signalements en la matière, selon une note gouvernementale, ont augmenté de 150% en un an. Une décision assimilée à l’application élargie de la loi du 15 mars 2004 faisant respecter la laïcité dans l’école, qui y interdit les signes religieux ostensibles, que ces vêtements rejoignent. « C’est un sujet difficile dans beaucoup d’établissements » qui étaient « en attente d’une règle claire », estime le ministre, qui a été définie dans une note de service adressée aux chefs d’établissement (1). On passe ainsi du renvoi à chaque établissement d’enquêter sur tel ou tel élève portant ces tenues,à l’interdiction générale de celles-ci, avec une méthode commune, entre dialogue et fermeté. Mais déjà certains invitent à porter des robes de femme enceinte pour contourner l’interdiction, à moins d’en venir à imposer l’uniforme pour régler le problème. Cela étant, l’enjeu de cette interdiction déborde de loin l’abaya.
L’interdiction nécessaire de l’abaya passe par convaincre
La question de fond derrière cette interdiction absolument nécessaire, c’est la pédagogie de cette règle qui convoque d’autres enjeux. Car la chose ne touche pas que le port de vêtements religieux, mais « les contestations d’enseignement, provocations verbales, suspicions de prosélytisme, revendications communautaires, refus d’activité scolaire… », comme cela est listé dans les signalements d’infraction à la laïcité. Aussi, interdire est une chose, mais se faire comprendre en est une autre, si l’on veut renverser le rapport de force. On sait combien cette interdiction est ressentie comme une injustice au regard de l’idée d’un droit « du libre choix de soi », considéré comme condition absolue de la modernité qui domine notre société, de la façon de se vêtir jusqu’à choisir même son sexe, son genre… Une liberté toute-puissante de l‘individu, sur un mode très libéral, est ainsi poussée jusqu’au bout, avec un « chacun son droit à sa différence » au risque du morcellement de l’école, qui présage celui de notre société.
On voit bien que c’est du côté de la dimension collective qu’il y a une faille, reflet de la surdité de ces élèves aux messages délivrés par l’école sur la laïcité et la République. Il semble que ces jeunes ne comprennent plus à quelle société ils appartiennent et sur quelle base. Une influenceuse sur les réseaux sociaux invite les élèves à porter l’abaya par « solidarité féminine »… Elle oublie de dire, que loin d’un jeu, c’est se faire l’otage des intégristes qui ne rêvent que de pouvoir imposer à toutes les jeunes filles le voile et l’abaya, en retournant la liberté au nom de laquelle on devrait faire ce que l’on veut en dictature religieuse.
La note de service rappelle que « l’ensemble des personnels des écoles et des établissements scolaires a pour mission commune d’incarner, de faire vivre et de transmettre la laïcité et les valeurs de la République ». D’ailleurs, le ministre entend même faire intervenir pour aider à cela, des formateurs des équipes laïcité Valeurs de la République. Mais est-ce bien suffisant au regard de la situation ? Selon un sondage Ifop pour la Licra de 2021, 40% des lycéens sondés estiment que les règles de leur religion sont plus importantes que les lois de la République, et que, si seulement 14 % des autres lycéens déclarent les soutenir dans leurs revendications dans les lycées hors-ZEP, ils sont 50 % en ZEP (2). Ils ne voient pas que ces libertés individuelles dont ils disposent n’existeraient pas, si elles n’étaient pas protégées par les lois communes de notre République. Côté enseignants, selon un sondage Ifop pour Écran de veille de décembre 2022 (3), plus d’un sur deux affirme s’être déjà autocensuré dans ce contexte, alors que les jeunes professeurs (moins de trente ans), sont favorables à un « assouplissement » des règles de la laïcité, dont 41% d’accord pour que les élèves puissent porter abayas et qamis. Il ne suffira pas d’interdire pour faire bouger les lignes en faveur de la mission qu’entend leur assigner le ministre. Il en va d’une reconquête, en leur redonnant confiance dans ce qu’ils enseignent.
Trop d’incohérences affaiblissent le discours républicain
L’enjeu est donc capital, si l’on veut continuer à faire société. Bien des incohérences affaiblissent pourtant notre République, comme lorsque l’on accompagne de longue date la constitution d’un « Islam de France » qui n’a fait que faillir. Ceci, à l’image du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) fabriqué de toute pièce par les pouvoirs publics, même s’il a perdu en reconnaissance, qui clame que « l’abaya n’est pas une tenue religieuse » mais pour lui « une forme de mode »… Rappelons que ce vêtement est essentiellement porté de l’Iran à l’Arabie Saoudite en passant par la Turquie, et qu’il constitue un signe de soumission à une autorité religieuse qui se confond avec l’Etat, de façon fréquente dans le monde arabo-musulman. Il est donc bien religieux. Plusieurs millions de filles ne peuvent pas aller à l’école en Afghanistan parce qu’on le leur interdit, tout en leur imposant le port de l’abaya ! En France, ce vêtement tient d’ailleurs du degré de religiosité revendiqué par les femmes, toutes musulmanes, qui le portent. L’association Action Droits des Musulmans (ADM) a saisi vendredi le Conseil d’État en prétextant que cette interdiction « encourage les personnels de l’Éducation nationale à exiger des élèves qu’ils divulguent leurs convictions religieuses » (4). Comme si le port de l’abaya ne l’affiche pas déjà ! Nos gouvernants devraient simplement faire respecter aux Eglises les règles en vigueur, au lieu de leur donner une place a contrario de la laïcité qui empiète sur la liberté des citoyens, ce qui ne concerne pas seulement le culte musulman. D’autant que cela brouille le message républicain, ce dont se saisissent inévitablement les intégristes.
Dans notre mentalité nous sommes laïques, parce que nous avons historiquement acquis « un mode de pensée » qui voit l’intérêt commun, nos libertés conquises, au-dessus de tout, libérés du poids de l’encadrement religieux. Nous avons intériorisé nos particularismes, en passant de les porter sur soi à les inscrire en soi, dans notre for intérieur, façon aussi de respecter la liberté de conscience d’autrui. Chose qui a eu du mal à faire son chemin chez certains, parce que l’on a négligé précisément de défendre la laïcité non seulement comme principe mais comme valeur, tout en faisant prévaloir sur elle une « diversité » culturelle sacralisée. On a ainsi flatté des traditions et des croyances pourtant souvent rétrogrades en matière de mœurs, généralement inégalitaires entre les sexes à la défaveur des femmes, et dont la vision de l’organisation sociale ne correspond plus à notre époque. On a joué contre l‘intégration. Lorsque le gouvernement promeut, dans ce prolongement de la reconnaissance des cultures, un index de la « diversité » dans les entreprises pour encourager des quotas selon la couleur de la peau, l’origine…, on tue dans l’œuf la laïcité comme valeur partagée. Ce relativisme culturel qui met tout sur le même plan en se réclamant de la lutte contre le racisme, la détourne de son sens, car elle n’a rien à voir avec la promotion des minorités, mais avec l’égalité des droits qui favorise les mêmes repères et le mélange.
Retrouver le sens de l’école laïque par un retour au citoyen
Si l’on entend faire que l’école soit laïque, ce n’est pas par lubie, mais parce que cela correspond à une conception de la transmission de la connaissance, du savoir, en lien avec la construction du futur citoyen. C’est-à-dire d’un individu conscient de son rôle social, de ses responsabilités collectives. Pour être accessible à égalité pour chacun, cet accès au savoir nécessite de laisser l’influence des croyances diverses, qui relèvent d’un sentiment personnel, à la porte de l’école, pour faire toute sa place à la transmission de ce qui a été acquis par l’expérience, aux apports de l’évolution qui valent pour tous, et connaissent un mouvement ininterrompu. Nos libertés politiques, civiques, sociales, en découlent, non sans quelques combats pour le progrès, jusque parfois contre l’obscurantisme religieux.
Comme le souligne le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, IVe République, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, de la Ve, » la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat « . L’Art. L 141-5-2, du Code de l’éducation en conséquence affirme : « L’Etat protège la liberté de conscience des élèves. Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. » Et concernant de façon générale la transmission du « savoir » jusqu’à l’enseignement supérieur, Art. L 141-6, que le service public laïque « est indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; Il tend à l’objectivité du savoir… ». Un savoir qui n’a de valeur que replacé dans le cadre de cet apprentissage du citoyen, comme sens commun, comme conscience sociale. Ce citoyen, c’est celui qui appartient au corps politique souverain, qui est censé en tant que tel être le coauteur de la loi à laquelle il obéit, en participant aux grands choix de la cité et à ses affaires. C’est à cela qu’il faut redonner son effectivité, et ainsi, sa puissance de conviction, d’adhésion à la nation, pour que la défense de la laïcité soit soutenable comme dimension fondamentale de la République. C’est l’idée de faire peuple à laquelle il faut réinsuffler sa force de cohésion, de responsabilité, d’autant qu’il est censé dans nos institutions être l’unique source du pouvoir politique.
Guylain Chevrier
Président du CDAFAL 94
Docteur en histoire. Formateur, enseignant.
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