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Laïcité - droit de l'homme

Jean Jaurès : une histoire d’actualité

Intervention de Jean-Marie Bonnemayre, Président du CNAFAL, lors de la conférence du 9 octobre 2014 à Saint-Fargeau-Ponthierry (77).

    J’ai pris le parti de ne pas dérouler chronologiquement la vie de Jean Jaurès pour tenter de mieux cerner l’homme, l’intellectuel, le politique, le journaliste, le philosophe.

    Jean Jaurès est un enfant de la République, la troisième bien sûr et celles qui l’ont précédé et un enfant de la Révolution française. Il est passionné par le débat des idées, la confrontation avec les penseurs de son temps : Bergson, lorsqu’il passe le concours général ou l’agrégation de philosophie ; puis en politique, lorsqu’il sera député, il se confrontera à Barrès, Renan, Taine, Bourget, tous tenants de la droite nationaliste, passéiste. Zeev Sternhell les montre du doigt comme des idéologues, à juste titre, de la droite révolutionnaire, en fait dans son vocabulaire à lui contre révolutionnaire, combattant les idéaux de la République et des Lumières.

    Pleinement dans son siècle, c’est un penseur de « l’histoire en train de se faire », confrontant les idées au réel. Il se bat sur tous les terrains à la fois, soutenant des grévistes, combattant l’injustice et réfutant les idées réactionnaires, monarchistes, cléricales…

    Il est pétri de Condorcet et, lutter contre l’ignorance est pour lui prioritaire, c’est pourquoi il se fait pédagogue ; il met son immense culture au service de sa pédagogie politique, de son talent d’orateur, de sa rhétorique de journaliste : expliquer, expliquer sans relâche, pour convaincre.

    Ses discours à l’Assemblée peuvent durer des heures. Pour lui, l’école est la terre de mission de la République. Quand il est élu en 1890 au Conseil municipal de Toulouse, il prend la délégation à l’Education Nationale. D’où son engagement plein et entier pour la loi de 1905, parce qu’elle est censée donner une nouvelle assise à la République, en la dégageant de l’emprise cléricale et donc des dogmatismes qui la ligotent, étape vers la révolution de la question sociale, car l’aspiration à la liberté et à la justice est légitime, notamment pour ceux qui sont les plus exploités par le capitalisme naissant, par la grande industrie qui s’affirme. La liberté et la justice doivent aussi, pour Jean Jaurès, s’incarner dans le progrès social des travailleurs, des producteurs.

    C’est pourquoi il soutiendra aussi les coopératives, les mutuelles, etc.

    L’engagement public au service des autres doit être exemplaire. Il défend la vertu en République. Son modèle c’est Robespierre et il critiquera les républicains opportunistes, les républicains affairistes… Sa référence à lui c’est Gambetta.

    Lorsqu’il est député en 1885 à 26 ans, il est le plus jeune député de France. Il sait la République fragile et friable : il n’oublie pas qu’il y a eu depuis 1789, 2 restaurations, 2 empereurs despotiques dont le dernier a valu à Victor Hugo l’exil, 3 révolutions ratées, 1830, 1848, 1871.

    Il sait que la République est fragile, qu’il faut construire des rapports de force, concurrence…

    La IIIème République est née presque par un accident de l’histoire et en tous cas par surprise en 1876. Il faut sans cesse la conforter et déjouer les coups d’Etat possibles. Pour cela, il faut démocratiser et inclure le plus de citoyens dans la République et notamment les prolétaires.  Pour Jaurès, l’émancipation est un tout : elle doit être politique, sociale et intellectuelle. Dès lors, tactiquement Jaurès fera tout et utilisera tous les moyens législatifs ou de mobilisation dans la rue, pour renforcer les institutions républicaines, pour les enraciner dans le peuple. La politique ne doit pas être réservée à une élite. La République ne doit pas capituler devant les intérêts capitalistes. La corruption des notables l’insupporte. Plusieurs scandales éclaboussent la République : Wilson (1887), Panama (1892). Des attentats anarchistes ont lieu. Drumont publie « la France juive »…

    En 1894, il s’oppose à la législation, votée en urgence, suite aux attentats qu’il dénonce avec d’autres, comme « lois scélérates ». C’est que la législation d’exception de Napoléon III a laissé des traces dans la mémoire des Républicains : on arrêtait, on déportait et on internait les simples opposants !

    C’est dans ce contexte que, en 1894 éclate l’affaire Dreyfus qui est « dégradé » et déporté au bagne. L’antisémitisme s’est répandu dans la classe ouvrière ; les monarchistes sont encore puissants dans la représentation parlementaire, l’Eglise ne pense qu’à une nouvelle restauration…

    Jean Jaurès ne réagit pas de suite. Il est surtout mobilisé par la « question sociale ». Lors de son premier mandat de député (1885/1889), il réclame la création d’une caisse de retraite pour les paysans. Pour les mineurs, il dépose une proposition de loi en faveur de la création des délégués à la sécurité. Il réclame, sur le plan économique, un certain protectionnisme pour mettre les travailleurs à l’abri des aléas du marché !

    Le premier grand combat social et républicain qui va le faire connaître, c’est l’affaire Alvignac à Carmaux et c’est 3 ans de combats à répétition, de péripéties, de coups montés par le patronat local en lien avec le patronat national. Le  Baron Reille, le Marquis de Solage, héritiers des monarchies, considèrent les ouvriers comme des gueux à mater et les Républicains des anarchistes qu’il faut éliminer à tout prix.

    Le combat est emblématique. Dès le mois d’Août 1892, Jean Jaurès défend, dans la « Dépêche du Midi » les ouvriers de la mine à charbon. Le Maire Calvignac, nouvellement élu est licencié pour avoir demandé 2 jours de congé non payés, pour assurer son mandat au service des ouvriers. Pour Jean Jaurès, c’est la négation de la République, c’est la négation du suffrage universel qui est en jeu et c’est pour cela qu’il jettera toutes ses forces dans la bataille. C’est un problème de justice, c’est un problème de justice sociale face à des patrons monarchistes qui recherchent le soutien de toute la droite, ne reculent devant aucune provocation et rêvent de faire donner la troupe et la poudre…

    En janvier 1893, élu à nouveau député à Carmaux, pour ce combat, il sert de caisse de résonnance à l’Assemblée nationale. Finalement, il ne pourra pas empêcher en février 1984, le Maire socialiste Calvignac d’être suspendu, puis révoqué sur un prétexte futile d’erreur dans la révision des listes électorales ! En 1895, des grèves éclatent aussi à la verrerie. Le délégué syndical, Baudat, élu au Conseil général peu de temps avant (1895) est licencié de la verrerie. L’ensemble des courants socialistes soutiennent la Dépêche sous la houlette de Jean Jaurès et lancent une grande souscription pour créer une verrerie « autogérée » qui débouchera sur la création de coopérative de la verrerie de Carmaux.

    Ce combat, dans la mémoire ouvrière et socialiste est resté emblématique !

    Mais ce n’est pas que le « ressort » de la justice sociale, de la République sociale qui anime Jaurès, c’est le sens de la justice porté au plus haut, pour lui, la dignité de l’humanité exige de défendre tout individu qui subit une injustice.

    C’est la raison pour laquelle après le « J’accuse » de Zola, il s’engage à fond dans la défense du capitaine Dreyfus contre l’arbitraire de la justice militaire. Nombre de socialistes, d’ouvriéristes, lui expliquent qu’en soutenant Dreyfus « ce bourgeois », il « trahit » le prolétariat. Il n’en a cure !

    Il écrit un « opuscule » qui s’appelle « les preuves » pour démonter l’accusation et la machination. Il croit en l’homme et il croit en l’humanité. La presse de droite catholique ne supportait  pas que des juifs puissent investir par « l’ascenseur républicain » l’Ecole polytechnique ou l’Ecole de Saint-Cyr, à plus forte raison l’Etat-Major !

    C’est en 1898, que Maurras crée l’Action Française qui veut rétablir l’Eglise catholique en tant qu’ordre constitué, violemment opposé aux juifs, aux francs-maçons, aux protestants, aux métèques,…

    En cette année-là, la République « tangue » et est menacée. Jean Jaurès comprenant le danger « pousse » les socialistes à entrer dans un gouvernement de « défense républicaine », ce qui lui est reproché par les tenants d’une ligne dure et de rupture.

    Jean Jaurès considère que la participation s’impose à partir du moment où « la liberté de conscience est menacée, quand les vieux préjugés qui ressuscitent les haines de race et les atroces querelles religieuses des siècles passés, paraissent renaître ».

    En 1899, Dreyfus sera grâcié et il faudra attendre encore plusieurs années pour qu’un procès en révision ait lieu et qu’il soit réintégré dans l’armée.

    Jean Jaurès, tout au long de sa vie, aura combattu pour la justice. L’histoire ne retient que les grands moments : Calvignac et Dreyfus.

    Mais Jean Jaurès intervient à plusieurs reprises contre les massacres d’arméniens, en Turquie de 1896 à 1909 (massacre d’Adana). En 1908, il s’oppose à la peine de mort en France et il désapprouve la conquête du Maroc aux fins de colonisation

    Tout comme il défendra aussi le journaliste, Alfred Giraud Richard, poursuivi en cour d’Assises pour avoir publié un pamphlet sur le Président de la République Casimir Périer, vendu aux milieux d’affaires. Il exige la liberté de la presse.

    En 1910, l’ouvrier Jules Durand, charbonnier havrais syndicaliste est  condamné à mort le 25 novembre, pour complicité d’assassinat d’un ouvrier non gréviste ! En fait, le dossier de police est entièrement truqué ! Il s’agissait de terroriser les leaders ouvriers syndicalistes et les républicains qui les soutenaient. En février 1911 il sera remis en liberté. Jean Jaurès dira que le souvenir de son engagement, en faveur de Dreyfus, lui avait servi de « fil conducteur » pour sauver « l’ouvrier Durand ».

    Epris de justice, pétri d’humanisme, Jean Jaurès estime que l’appartenance à l’humanité exige de défendre tout individu, quel qu’il soit !

    Lorsque l’on suit attentivement Jean Jaurès dans son parcours, c’est toujours la même logique qui est à l’œuvre : il met au premier plan la défense des valeurs universelles et des valeurs de la République. Jamais, il ne cède au fatalisme. Il croit en la puissance que la volonté fait progresser. Ferme sur le fond, souple sur la forme.

    Ce qui donnera lieu parfois à de vifs échanges avec ses camarades ; tout projet de loi améliorant un tant soit peu le sort des ouvriers doit être adopté, certes non sans discussion ; il est plus mobilisé pour la démocratisation de la République, que pour la victoire du socialisme. Il veut élargir et gagner des espaces de liberté pour asseoir des contre-pouvoirs. Il veut éveiller l’ensemble des français à la politique. Il considère que le socialisme était contenu, dès l’origine, dans la République, si on mène jusqu’au bout sa logique.

    Entre la Révolution française et le socialisme, il ne professait pas la rupture. Son fil conducteur, c’est pousser jusqu’au bout les principes révolutionnaires de 1789.

    Au congrès de l’Internationale socialiste, à Amsterdam, en 1904, il déclare « la République est la forme logique et suprême de la démocratie » ; face à des délégués provenant de pays à gouvernement monarchistes et autoritaires, il vante la République.

    On lui reprochera même de s’être allié aux radicaux, aux républicains modérés, pour soutenir la politique laïque d’Emile Combes.

    Après 1905, compte tenu des tensions sociales et politiques dans le pays, il comprend qu’il faut cimenter la gauche, unifier les socialistes, même au prix de la rupture avec la gauche gouvernementale ou les républicains « ministérialistes ».

    Il s’impose un devoir d’unité. Il fait même des pas vers la gauche « extrême » de l’époque.

    Il reconnaît le syndicat comme organe naturel de la lutte des classes, mais en même temps, il promeut le mutualisme, le coopérativisme. Il défend l’appropriation sociale contre la propriété capitaliste.

    Il reconnaît la validité de la grève générale, comme moyen de libération sociale. Mais aussi, il se démarque des marxistes, parce que, pour lui, l’Etat ne doit pas exprimer une classe, il exprime un rapport de forces.

    En économie, il estime que la « Nation doit être souveraine dans l’ordre économique, comme dans l’ordre politique ». Il dénonce les oligarchies que l’on a vues à l’œuvre dans différents scandales (Panama). Il dénonce le « capitalisme  oisif », un bel « alliage de mots » que la gauche actuelle ferait bien de reprendre !

    En effet, à la fin du 19ème siècle, la France subit une terrible récession économique (1873). En 1882, il y a le krach de la banque Union Générale, la crise du phylloxera dans les campagnes. C’est la « République des affaires » et les mêmes hommes se succèdent à la tête des ministères économiques, plaçant leurs amis à la tête des conseils d’administration…

    Jean Jaurès se bat pour une réforme fiscale d’envergure, il n’est pas contre les nationalisations. Il a une formule choc « la République doit s’affirmer dans l’atelier, comme elle s’affirme dans l’hémicycle ».

    Cent ans après sa mort, les termes du débat sont les mêmes.

    Le CNAFAL

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