Le site du Conseil National des Associations Familiales laïques (CNAFAL), association agréée d'aide aux consommateursNous connaitre
LE SURENDETTEMENT Dans le cadre de la préparation du colloque que l’association « Familles laïques « de Vaux-le Pénil organise le samedi 14 novembre 2015 à la ferme des jeux de Vaux le Pénil, NABUM a écrit cette petite histoire et NAGY a réalisé ce dessin.
La survie à la carte …
Tout a commencé de manière insidieuse, sournoisement, sans que je voie rien venir. Je vivais chichement comme peuvent le faire les gens tels que moi qui ne disposent ni d’un gros salaire, ni de parents en mesure de les aider. Quand mes enfants sont nés, ma femme et moi, nous avons voulu le meilleur pour eux.
Bien sûr, nous avons eu recours aux vide-greniers pour acheter ce qui nous permettait d’accompagner leur arrivée. Jouets, chaise haute, siège- auto, vêtements : nous trouvions tout ce qu’il leur fallait à peu de frais. Nous avions l’impression d’être de bons parents, de leur acheter ce qui leur était nécessaire sans pour autant y mettre des sommes délirantes ou hors de notre budget.
Puis, les enfants ont grandi ; ils ont commencé à subir l’influence de leurs camarades, des réclames et des publicités. Ils s’indignaient des vêtements que nous leur achetions dans des solderies. Ils avaient honte ; ils réclamaient des « marques » : le symbole de la réussite dans une société du paraître.
Ce sont les chaussures qui entraînèrent notre chute ; maudites chaussures de sport pour des petit monstres qui n’en faisaient même pas. Qu’elles soient à virgule ou bien à bandes, elles coûtaient les yeux de la tête et cette fois, pas question de trouver chaussures à leurs pieds dans des marchés d’occasion. Il fallait le dernier modèle, la couleur à la mode, les lacets qui se voient dans la nuit …
Chaque achat provoquait un trou dans le budget familial. Pour compenser la dépense faramineuse, il fallait manger de la semelle et de la vache enragée toute l’année, se serrer la ceinture pour que nos enfants puissent marcher la tête haute. Trop influencés par des camarades dont les parents étaient plus aisés, ils exigeaient sans rien voir de la réalité de nos finances.
C’est ainsi que nous sommes tombés dans le piège des cartes de crédit, des achats à tempérament, différés, sans frais, sans dossier préalable. L’argent miraculeux en somme, tombant du ciel avant qu’il ne finisse par nous tomber sur la tête. Le pli était pris ; le geste si facile, la possibilité de s’adresser à plusieurs sociétés de crédit à la fois nous ont grisés.
Nous avons satisfait les demandes de nos enfants ; nous avons même devancé leur désir avec des achats de prestige, des téléphones multi-fonctions, des ordinateurs portables… Nous ne savions plus leur dire non : nous cédions et l’argent que nous n’avions pas nous brûlait les doigts. Les dettes s’accumulaient. Nous vivions à crédit désormais pour tous les achats de la vie quotidienne.
Tout a basculé lorsque j’ai perdu mon emploi. Les sourires de façade des vendeurs se sont soudainement figés. « Vous êtes sans emploi ? Ça change tout ! ». Non seulement je n’avais plus aucune facilité, mais il me fallait rembourser au plus vite ; la situation était devenue intenable pour ceux qui me poussaient au crime quelque temps plus tôt.
La première visite d’un huissier fut un coup pour toute la famille. Ce fut un viol, un crachat à la face devant tout l’immeuble, une injure devant des amis. Nous étions effondrés, incapables de dire franchement les choses à nos enfants. Eux, au lieu de nous soutenir, se mirent à réagir à leur manière contre ce qu’ils ressentaient comme une injustice. Ils nous fuyaient, se montraient désagréables, rentraient tard du collège.
Les résultats scolaires se firent de plus en plus mauvais. Il y eut des punitions, des sanctions, des demandes de rendez-vous par des professeurs de plus en plus en plus inquiets. Ces derniers nous faisaient les gros yeux, nous mettaient en cause comme si nous étions heureux de ce qui se déroulait devant nous. Nous ne pouvions plus payer la cantine, le logement. Partir en vacances était impossible.
Il a fallu ravaler notre orgueil, faire appel à des services sociaux, demander de l’aide au collège, réduire notre train de vie, faire comprendre aux enfants la réalité de nos finances. Nous étions une famille surendettée. La formule n’a aucun sens pour celui qui ne vit pas cette situation. Il faut changer de mode de vie, faire appel aux réseaux d’aide, découvrir les restaurants du cœur, les épiceries sociales, accepter de tendre la main, recevoir des aides en serrant les dents.
Les enfants furent les plus réfractaires à notre nouvelle situation. L’aîné bascula un temps dans la petite délinquance ; il trouva un refuge illusoire dans une bande de gamins laissés à l’abandon par des parents aussi désemparés que nous. Sa cadette perdit une année scolaire ; elle ne nous parlait plus, s’enfermait dans sa chambre, se réfugiant dans les réseaux sociaux.
J’allais bientôt perdre mes droits au chômage quand, avec ma femme, nous vîmes une annonce d’une petite commune rurale. Le maire cherchait un couple pour tenir une épicerie- bar-journaux afin de redonner vie à son village. C’était notre chance, l’occasion de reprendre tout à zéro. Nous disposions d’un logement et nous ne manquions pas de courage.
Cette fois encore, ce sont les enfants qui firent le plus de difficultés. La campagne, quelle horreur pour ces gamins élevés depuis toujours à la ville ! Les premiers mois furent un enfer à cause d’eux mais un bonheur dans notre nouveau commerce. Nous sûmes gagner la confiance des habitants ; bientôt le café devint un lieu de vie, de confidences, de loisir.
Puis le temps fit son œuvre ; le plus grand tomba amoureux d’une petite qui lui fit oublier ses folies ; elle lui apprit à aimer la campagne, lui fit partager sa passion des chevaux. Il se lança dans une formation de palefrenier. Sa sœur se découvrit la main verte ; elle fut initiée à l’art floral par une voisine, cliente de l’épicerie. Elle reprit sa marche en avant pour les études.
Dans quelques mois, notre dette sera apurée. Nous passons tellement de temps à notre travail que nous n’avons besoin de rien. Ma femme organise désormais des soirées avec des repas à thème. Nous sommes heureux, :nous avons retrouvé nos enfants et jamais plus nous n’achèterons quoi que ce soit avec des cartes de crédit.
Nous avons saisi une chance exceptionnelle. Nous avons osé la rupture. De cette aventure, reste une petite pancarte dans notre commerce : « La maison ne fait pas crédit ! ». Plus d’une fois j’ai raconté notre histoire à qui me demandait pourquoi cette annonce était placée de manière si visible. Ce fut le cas ce soir encore et c’est ainsi qu’une fois encore, je la racontai à un client plus curieux que les autres qui sortit son bloc-note.
Endettement vôtre.
NABUM
Illustration originale de Nagy
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